Déclic : Rencontre avec Laura, une anthropologue devenue bottière
L’univers de la botterie n’est peut-être pas connu de tout le monde… Artisanal, local, minutieux, c’est un métier à découvrir aujourd’hui grâce au témoignage de Laura, une femme aux multiples parcours, une anthropologue devenue bottière !
De l’anthropologie à la botterie en passant par un amour pour le design, le parcours de Laura Puntillo est passionnant. Elle nous partage aujourd’hui son chemin qui l’a menée à se reconvertir pour suivre ses envies et devenir bottière !
Qu’avez-vous fait avant votre déclic et votre métier actuel ?
Je m’appelle Laura Puntillo et suis de nationalité italienne. Passionnée d’art et design depuis le plus jeune âge, rien ne m’avait pourtant prédestinée à embrasser le métier de bottière.
Ma curiosité liée à l’envie de vivre différemment mes premières expériences professionnelles, m’ont amenée à vivre ici après mes études en Communication Institutionnelle et Design. En 2005, après mon diplôme, mon professeur de thèse d’anthropologie culturelle m’a sollicitée à intégrer son équipe de doctorants et tenir des séminaires qui avaient lieu au siège de l’Universitè La Sapienza de Rome jusqu’en 2010.
Ma thèse sur l’anthropologie visuelle et le design m’a ouvert un monde fait de multiples possibilités et d’interactions à découvrir. J’ai commencé en me formant au Design industriel à Rome, de 2006 au 2008, où j’ai appris à dessiner. Ça a été ma rencontre avec l’objet, l’objet industriel, l’objet de masse, avec la rigueur que l’industrie impose pour sa réalisation.
La synergie entre l’anthropologie et le design m’a poussé à vouloir suivre la designer Lucy Orta, un de mes sujets de thèse jusqu’à Paris, où je suis arrivée en 2008.
Quel a été ce déclic ? Vous souvenez-vous de votre état au moment du déclic ?
Je venais de commencer mon travail dans une galerie d’art dans le 6ème arrondissement en 2010, où j’ai travaillé́ pendant plus de 5 ans, quand la directrice m’a invitée à l’accompagner pour une visite à l’Hôtel de Ville, à l’occasion d’un hommage au dernier bottier de Belleville, Maurice Arnoult.
Le coup de foudre pour ce métier artisanal et l’association qui conserve la transmission de ce savoir-faire a été immédiat. Maurice Arnoult était un bottier spécialisé dans les chaussures pour femme jusqu’au début des années 2000.
Ce bottier, installé dans un tout petit atelier à Belleville, était le premier à ouvrir ses portes et transmettre ce savoir à des femmes.
Au printemps 2011 j’ai commencé à apprendre la chaussure sur mesure pour femme au sein de l’association Maurice Arnoult, installée dans le 18ème, à raison de quelques cours par semaine dispensés par les maîtres bottier Jaques Aslanian et Michel Boudoux, bottier de luxe pour femme.
Et c’est en 2015 que l’occasion s’est présentée pour transformer cette passion en un vrai métier. La deuxième rencontre la plus importante a été avec Philippe Atienza, chef d’atelier chez la Maison Massaro, qui venait transmettre son savoir faire depuis 2 ans à un petit cercle de passionnés de la chaussure pour femme. Au fil du temps, ayant gagné en confiance et en maîtrise, je lui ai demandé́ de collaborer. En février 2016, je m’associe à ce maître pour un projet merveilleux, celui d’ouvrir un atelier de botterie traditionnelle sur mesure, dédié́ aux hommes et aux femmes, sous une voûte du Viaduc des Arts paris XII.
Qu’est-ce qui a influencé ce changement de vie ?
Dès mon arrivée, j’ai pu collaborer avec divers bureaux d’architecture. En tant que designer industriel mon problème, c’était de ne pas pouvoir réaliser mes propres prototypes pour manque d’un atelier et connaissance sur le terrain parisien, sans oublier qu’ici tout est extrêmement cher !
Selon moi, la chaussure pour femme faite main, c’est une mini architecture qui soutient le corps, un bel objet à dessiner, patronner, apprêter, piquer et enfin monter. Quand j’ai découvert ce métier je me suis dit que, si j’arrivais à connaître et maîtriser toutes ces étapes, je pourrais moi-même fabriquer mon propre prototype. Je n’aurais plus besoin de chercher des sous-traitants pour créer mes propres projets, l’indépendance.
Pourquoi le secteur de la mode et du luxe ?
Toujours passionnée par les belles choses et les bonnes manufactures, en Italie, on baigne dans ce monde même sans le côtoyer. Et après il y a Paris… Paris la ville lumière, Paris la ville ou l’élégance s’auto-représente avec une grande discrétion, Paris, la ville du luxe et des rêves.
Quelle image aviez-vous de ce secteur avant d’y travailler ?
L’image d’un secteur plutôt fermé, dédié exclusivement aux spécialistes qu’y travaillent dedans.
Avez-vous facilement trouvé une formation ?
La vie est faite de rencontres…
Et moi j’ai eu l’opportunité d’avoir deux rencontres formidables : avec L’association Maurice Arnoult et avec Philippe Atienza.
Comment cette filière vous a-t-elle accueillie ?
C’est une filière qui réunit beaucoup d’acteurs qui travaillent autour et avec le cuir. Et c’est magnifique toute cette diversité d’approches. J’ai été toujours très bien accueillie et dans le milieu des bottiers, je ressens fortement cette quête de perfection et exigence presque obsessionnelle. C’est vraiment motivant de pouvoir côtoyer ces personnes qui se sont dédiées depuis leur jeune âge à ce métier.
Que diriez-vous à ceux qui n’ont pas encore eu le déclic ?
Il n’y a pas de règles figées, chacun a ses temps de « réalisation » et « digestion » des infos. C’est déjà important de savoir ce qu’on n’aime pas !
Je dirais plutôt de chercher l’émerveillement pour quelque chose et dans la vie en général, il faut être capable de s’émouvoir pour sentir et voir la merveille.
La passion, on ne la commande pas, c’est une émotion. Pour faire ce métier, il faut en avoir car c’est un métier difficile, on est en défi permanent et pour le réussir, il faut en être obsédé.
Et maintenant ?
Aujourd’hui, forte de ces expériences et de magnifiques rencontres, je m’apprête à ouvrir un espace de conception et confection des souliers fait main pour femme.
L’envie est celle de créer des souliers pour femme dans les règles de l’art, qui sont aujourd’hui plus confiés à l’univers masculin pour des raisons liées surtout aux logiques frénétiques du marché́, j’ai l’envie et l’ambition de changer cette tendance. Consommer local ! C’est un métier qui demande du plaisir, pour le faire et le plaisir de faire plaisir : car préparer et prendre soin de quelqu’un pour qu’il se sente beau, pour qu’il se sente à l’aise dans des souliers confortables, ça veut dire rendre l’unicité́ à chaque individu, concept perdu avec l’industrialisation de masse. C’est un métier qui, s’il est bien fait, peut vraiment améliorer aussi son propre développement personnel car cela demande de se surpasser et beaucoup de compassion pour la matière et pour soi-même.
Il faut à la fois être humble et patient, et pourtant ambitieux !
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Savoir pour faire est une campagne organisée par le Comité Stratégique de Filière Mode & Luxe et financée par Opco2i.